Éloge à la main
 
L’œuvre d’art couvre en elle les énergies du monde de l’artiste. Εlle est matière, elle est esprit, elle est forme et elle est contenu et pourtant son caractère est d’accueillir tous ces possibles (...) C’est un aspect de sa vie immortelle, c’est l'éternité de son présent.
 
Henri Focillon (1881-1943), historien d’art
 

Le titre du petit essai «Eloge à la main» (1934), de l'historien d'art français Henri Focillon (1881-1943), pourrait décrire avec précision la quête créative de l’artiste suisse Marc Raymond, qui se résume autour du mot "construction". Ses oeuvres portent un sens général de simplicité, dans lequel est pourtant présente une complexité exprimée à travers des constructions géométriques, des nuances claires et des motifs monochromes.
 
L'expérimentation avec le papier et le bois est transformée par l'artiste en un processus personnel introspectif, qui s'exprime à travers le travail manuel. Contrairement à certaines pratiques modernes qui mettent l'accent sur la dimension conceptuelle des objets et des matériaux, Marc Raymond a besoin de toucher à ce qu'il crée, d’assembler des pièces, d'entrer en contact direct avec la matière et de laisser surgir la dimension poétique de la forme.  En explorant, pendant la création des œuvres, les multiples possibilités des matériaux, Marc Raymond suggère que nous nous concentrions sur ce que la matière elle-même nous révèle. Lui-même se définit, avant tout, comme un constructeur. Et en effet, en regardant son travail, on comprend l’amour de l'artiste pour le travail du bois, un matériau courant dans le domaine de la construction dans son pays natal.
 
Bien qu'à première vue, en raison de la matière utilisée, ses œuvres semblent suivre une direction minimaliste, il suffit d’un regard plus attentif pour nous convaincre de la liberté qu'elles dégagent dans une approche interprétative. Sans directives de la part du créateur, dans toute tentative d’analyse, nous sommes confrontés à une série d'œuvres libérées de toute sorte de charge conceptuelle ainsi que de toutes fonctions décoratives dans l'espace.
 
Maria Xypolopoulou
Doctorante, Université Paris 1 (Sorbonne-Panthéon)
Commissaire indépendante et critique d'art
 
Avril 2019
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Angles aigus, espaces obtus
 
Dans Assemblages, les sculptures sans angles droits de Marc Raymond portent une dualité pleine d'humanité.
 
Diplômé de l'école suisse de sculpture sur bois de Brienz, Marc Raymond travaillait selon une approche traditionnelle et figurative avant de basculer vers une sculpture abstraite de construction et d'assemblage. L'étincelle est venue en utilisant du papier (un excellent combustible) pour des découpages; le contreplaqué s'est ensuite imposé comme matière première. "Cela m'a ouvert de nouvelles perspectives et de nouvelles possibilités, explique-t-il. Construire avec peu, avoir des limitations m'intéresse. J'essaye de rester le plus simple possible, mais durant l'élaboration d'une oeuvre, il y a toujours une complexité de structure qui apparaît au fur et à mesure que je rajoute des éléments." Surtout que les structures ne présentent aucun angle droit!
 
Sans rechercher le mouvement, le sculpteur jongle avec des éléments qui penchent et s'imbriquent, sources d'incertitude (équilibre/déséquilibre), mais aussi d'énergie interne. Pour l'artiste, il s'agit d'une image de la vie humaine. "Mon travail est une exploration, une recherche intérieure qui s'élabore dans la spontanéité et la simplicité."
 
Dans Assemblages, les solides défaillances de Marc Raymond occupent l'espace avec une telle splendeur qu'on aimerait pouvoir en explorer tous les recoins. "J'aimerais beaucoup un jour faire des sculptures de grandes dimensions où l'on pourrait entrer, se faufiler à l'intérieur." D'ailleurs, les quelques oeuvres sur papier de l'exposition soulignent que le travail du sculpteur relève parfois de l'architecture. "J'ai cet intérêt pour les liens entre intérieur et extérieur, l'espace et ses limites, l'humain en relation avec la matière..."
 
Et une maison sans angle droit, ça serait habitable?
 

Matthieu Petit
Journaliste culturel                                  
 
Voir, Sherbrooke-Estire, Canada, 10 mars 2011
Ne cherchez pas d'angles droits
 
Quand j'ai visité l'exposition Assemblages de Marc Raymond, à la Maison des Arts et de la Culture de Brompton, j'ai été charmé par ces formes d'allure simple qui composaient le décor. Ces constructions abstraites faites de panneaux de contreplaqués, peintes d'une couleur primaire vive, sont les éléments qui habitent l'espace. Certaines siègent sur des socles, d'autres, sont simplement appuyées sur les murs. Elles sont là, comme si ces sculptures avaient été oubliées. Chaque forme a sa "personnalité", certaines sont hautes et dominent la salle, grandes et nobles. D'autres semblent plus timides, recroquevillées sur elles-mêmes. Quelques-unes dégagent même un esprit de solitude. Ces assemblages représentent l'âme du travail de Marc Raymond, qui en est un de recherche personnelle sur lui-même, mais aussi sur la société. Une réflexion sur l'être humain qui évolue dans une société complexe. L'humain de Marc Raymond est en quête d'équilibre, cette aspiration se dévoile à nous et prends tout son sens lorsque l'on s'aperçoit qu'il n'y a aucun angle droit dans ses sculptures. La forme existe et tient debout malgré son propre déséquilibre. Tout comme l'humain, qui est en perpétuel déséquilibre s'il veut avancer.
 
Une approche humaine
Selon Josianne Bolduc, directrice de la Maison des Arts et de la Culture de Brompton, les oeuvres sont à l'image du sculpteur. Marc Raymond est quelqu'un de très discret. Tout comme ses sculptures, il faut être en contact avec lui et c'est dans le dialogue que l'on s'aperçoit de toute la richesse de l'univers de cet artiste originaire de Suisse. Ce qui peut sembler cérébral, voir conceptuel, se change en une approche très humaine, tout dépend de la perspective choisie.
 
Des ensembles complexes
L'approche minimaliste du travail de Marc Raymond ne s'arrête pas à un jeu de formes et de couleurs. L'intention n'est pas de nous ramener à l'essence d'une oeuvre d'art qui est, un assemblage de courbe, de lignes et de teinte. En regardant de plus près, on remarque vite que l'ensemble est complexe. Ses panneaux de bois se chevauchent, un effet de souplesse est donné à un matériau difficilement malléable à la base. Chacune des courbes est le résultat des parties du bois insérée unes dans l'autre, ce qui a pour effet d'amplifier cette flexibilité. Ces insertions rappellent aussi la complexité qui compose chaque homme et femme. L'angle droit totalement absent, comme l'humain, qui a ses propres courbes mentales. Les dispositions inusitées isolent les sculptures pour nous permettre de mieux en sentir les tensions internes. Nous sommes devant des portraits de l'humanité sous une forme simplifiée.
 
Un univers de forme
L'exposition Assemblages, nous amène dans un univers de formes et de couleurs vives, un univers qui peut sembler intellectuel à première vue, mais qui est beaucoup plus près de l'humain et de l'artiste qui se trouve derrière ce projet.
Assemblages, une exposition de Marc Raymond est présentée jusqu'au 20 mars 2011, à la Maison des Arts et de la Culture de Brompton.
 

Clément Drolet
Journaliste culturel                                
 
Zone Art, Sherbrooke-Estrie, 28 février 2011
Élégance de la forme
 
Les sculptures et les découpages de papier de Marc Raymond, à la Galerie de l'École d'Art d'Ottawa, constituent un bel exemple d'oeuvres caractérisées par une économie de moyens efficace. Les matériaux utilisés sont des plus simples (contreplaqué peint d'une seule couleur, papiers aux teintes cendrées), et le résultat de leur assemblage, des plus désinvoltes. L'artiste réussit à faire voir au visiteur toutes les splendeurs de la forme dans son expression la plus sobre, lui permettant aussi de poser un regard neuf sur l'espace qui l'entoure.
 
Jonchant le sol ou s'appuyant contre le mur dans un équilibre précaire, des morceaux de bois, en apparence taillés de façon parfaitement rectangulaire, se soudent en leurs divers côtés pour s'édifier en des configurations abstraites. Celles-ci paraissent un peu banales à première vue, mais en les regardant de plus près, le spectateur remarque que chaque fragment a été découpé suivant des angles inégaux (loin du précis 90 degrés attendu du travail d'un menuisier!), et que leur agencement bout à bout contribue à accentuer l'aspect déstabilisé des objets. L'artiste semble vouloir donner à ces structures géométriques une allure fluide et mobile, à l'encontre de la rigidité du matériel utilisé (la planche de bois), mais révélatrice de sa provenance, végétale et organique.
 
Mis à part l'éclairage un peu vif qui enlève à la beauté de chaque proposition, l'habilité et la force de précision de Raymond sont étonnantes, et son travail fait preuve d'une accrocheuse élégance.
 

Katy Le Van
Journaliste culturel                                                                                
 
Voir, Ottawa-Gatineau, Canada, mars 2009
La sculpture dans le sang
 
Marc Raymond qui a son propre atelier à Saillon a un parcours atypique avec au départ une formation de menuisier-ébéniste. Sa passion pour le modelage, le contact avec la matière et l'élan créateur l'amèneront à suivre l'École de Sculpture de Brienz durant trois ans avant d'en sortir diplômé en 1997. Dans son atelier de Saillon Marc Raymond s'est lancé avec énergie dans la sculpture du bois, de la pierre, du béton, du bronze. Tous les supports ont leur spécificité et leur langage propre que Marc Raymond sait apprivoiser pour en tirer toutes les potentialités, les flux magmatiques, les respirations retenues, les pulsions cachées: des silhouettes les plus hétéroclites qui apparaissent dans les bois de tilleul ou de cerisier.
 
Avec lui la pierre, le bois prennent vie, se donnent dans des formes humaines, élémentaires ou suggestives; la main du sculpteur façonne les matériaux avec cette sensibilité qui permet à partir de l'inerte de créer une sculpture traversée de vie. On y sent la gestuelle de l'homme habité par une dimension peut-être cosmique qui le dépasse parfois et qu'il doit matérialiser dans ses oeuvres. Les émotions et la vie intérieure de l'artiste apparaissent soudain en pleine lumière, une manière de matérialiser une quête et une harmonie à parfaire, à construire, à rendre visible.
Marc Raymond qui a une prédilection  la musique, la lecture, la marche, affectionne aussi les voyages visitant les États-Unis en 1991 et la Chine en 1999. Des déambulations créatrices d'images et de visions qui s'inscrivent dans la mémoire et peuvent resurgir au gré de son travail.
 

Jean-Marc Theytaz
Journaliste culturel                                                                          
 
Le Nouvelliste, Sion, Suisse, mai 2004
Coup de ciseau…
 
L’art vit des temps difficiles. Il n’est pas le seul. Notre époque est à l’image… à l’image coup de poing. L’œil se rince. Le cœur se dessèche. Le ventre se raidit. L’esprit s’abâtardit. Le temps est au paraître, à l’éphémère. Plus qu’à l’être et à l’immortel. Le loft l’emporte, haut la jambe, sur le sublime. Don Juan nargue Pascal.
 
On est en train, tout azimut, de banaliser la violence et l’amour. Va-t-on laisser nos kamikazes prendre le rêve en otage? Le string va-t-il finir par voiler notre âme avant que le revolver ne l’achève ? Le monde qui s’enlise réclame des raisons de vivre. Non pas du toc, du feu, du vent.
 
Les poètes, les artistes, les vrais, ont toujours raison. Que ferions-nous sans eux, pour l’amour du ciel? Ils nous catapultent vers le meilleur. C’est une forme de spiritualité. Ils sont l’avenir de l’homme dans sa quête d’essentiel.
 
Merci à Marc Raymond de nous offrir dans le bois, le béton, la pierre, des éclats d’éternité. Ce sont les cailloux blancs du petit poucet, dans l’émoi de nos errances. Pèlerin de nos aspirations, de nos soifs, il empoigne la matière avec de plus en plus d’assurance, de diversité, de personnalité. Comme un enfant prodigue qui revient au pays, il n’est pas encore au bout de son chemin.
 
Heureusement… pour lui et pour nous.
 

Pascal Thurre
Écrivain-journaliste
 
Introduction au livret "Marc Raymond, sculpteur", 2003
TEXTES
Constructions
 
A considérer le travail de Marc Raymond – ses sculptures, ses découpages sur papier ainsi que ses gravures monochromes plus récentes – la référence aux avant-gardes vient presque automatiquement. Le langage formel épuré de ses constructions géométriques, leur apparente logique interne renvoyant à une idée de fonctionnalité ainsi que le recours à un choix restreint de couleurs pures, renvoient à des courants comme le Bauhaus ou le Constructivisme. Mais sur le chemin à rebours de cette filiation – l’histoire d’une abstraction géométrique qui nous ramène au début du XXème siècle – il ne faudrait pas oublier de mentionner des rapprochements formels avec des branches cousines comme le design industriel et les recherches en typographie, domaines dans lesquels la Suisse s’est illustrée.
 
Ces prédécesseurs pourraient être encombrants si Marc Raymond ne s’en était délesté. Avec lui, nous sommes bien loin des idéologies, notamment sociales, qui sous-tendaient les mouvements artistiques que l’on vient d’évoquer. Pour cet artiste né à Saillon et formé à l'École Suisse de Sculpture sur bois de Brienz l’enjeu est ailleurs. Marc Raymond « aime couper, scier, composer, mettre ensemble […] travailler de [ses] mains ». Recourant à une formule empreinte d’humilité, il se perçoit comme un « constructeur ». Non pas au sens grandiloquent de « bâtisseur », mais plutôt par opposition au statut mythifié de l’artiste-démiurge. Il décrit ses réalisations comme des assemblages faits de matériaux simples, des « constructions de surfaces ». L’usine et l’ouvrier qui étaient au cœur de courants comme le Bauhaus cèdent ici la place à l’artisan, travaillant dans la solitude de son atelier.
 
Revendiquée dans le choix des matériaux, la simplicité n’est qu’apparente dès lors que l’on aborde la question de la composition. A commencer par les sculptures, faites de sections de bois assemblées sans aucun angle droit ou emboîtées les unes dans les autres. Dégageant à la fois une impression d’équilibre et de tension intérieure, ces arrangements subtils de plans auraient parfois presque la souplesse d’un ruban. Mais c’est surtout une qualité architecturale qui s’en dégage. Quant aux travaux sur papier, leur langage visuel s’inscrit dans la lignée de l’abstraction géométrique. Mais ils n’en ont jamais la froideur presque impersonnelle. Les lignes et aplats qui ne sont pas ici réalisés avec une hantise de l’imperfection ne cherchent pas à retrancher ou évacuer le processus manuel de leur réalisation.
 
Il s’agit là de véritables partis pris qui ont des conséquences sur la lecture du travail de l’artiste. Partie intégrante de la démarche de Marc Raymond, le savoir-faire est délibérément mis en valeur. Quand il réalise ses sculptures, par exemple, les arêtes ne sont fréquemment pas peintes, donnant à voir la nature du matériau – le contreplaqué, un bois simple d’usage courant – mais aussi les techniques d’assemblage – des sections découpées à la scie sauteuse, assemblées en queues droites. Plus que de simples caractéristiques formelles, ces éléments révèlent l’extrême rigueur qui préside à l’élaboration de l’œuvre.
 
A l’occasion de la présente exposition, l’artiste a choisi de présenter trois séries de travaux : des découpages de papier réalisés en 2007, des sculpture faites entre 2008 et 2010 ainsi que des gravures monochromes de 2012-13. Se répondant les unes aux autres, ces séries sont le fruit d’un véritable processus que l’artiste réalise pas à pas, plan après plan, au fur et à mesure que se dévoile la nécessité intérieur de chacun des travaux. De ce point de vue, la démarche de Marc Raymond s’apparente à une forme de méditation ou d’introspection, une « découverte de [sa] réalité intérieure », comme il le dit lui-même, questionnant son rapport au monde.
 
Benoît Antille, curateur
 
Mai 2014
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